Dans la catégorie :
Publié le 9 Mar 2025

Bail commercial : Acquisition de clause résolutoire ou résiliation ?

La Cour de Cassation a rendu une décision apportant deux enseignements, d’une part, que le commandement de payer visant la clause résolutoire doit préciser à compter de quelle date cette résiliation doit intervenir, et d’autre part, que pour obtenir la résiliation du bail (et non le constat de l’acquisition du bénéfice de la clause résolutoire) le juge doit constater si le non-paiement est un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du bail commercial.

Il convient ici faire la distinction entre, d’une part, l’acquisition du bénéfice de la clause résolutoire inséré au bail commercial qui permet une résiliation de plein droit et automatique passé un délai d’un mois suivant la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, et d’autre part, la résiliation judiciaire demandée qui repose.

1. L’acquisition du bénéfice de la clause résolutoire

L’article L 145-41 du Code de Commerce prévoit que:

« Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. »

A ce titre en présence d’une clause résolutoire, le juge n’a pas le pouvoir d’apprécier la gravité du manquement ou de refuser de constater l’acquisition de la clause résolutoire, et ce même si la sanction apparaît disproportionnée ou si le manquement, à l’origine de la mise en œuvre de la clause résolutoire, ne porte aucun préjudice au bailleur ou si le locataire est de bonne foi.

Autrement dit, le juge n’a pas le pouvoir de moduler les conséquences du manquement considéré en fonction de la gravité des faits.

Ce principe a été rappelé plusieurs fois tant par les juges du fond que par la Cour de cassation (Cass, 3ème chambre civile, 5 octobre 2017, n°15-25.018 et Cass. 3ème civ., 20 octobre 2016, n°15-18.051). A titre d’exemple, le seul défaut de paiement des frais de poursuite dans le délai visé par le commandement, alors que les loyers étaient payés, justifie l’acquisition de la clause résolutoire (Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n°20- 13.639).

Ainsi, le juge ne peut donc pas prononcer la résiliation (en ce qu’elle doit intervenir de plein droit en dehors de toute intervention de sa part) mais uniquement constater son acquisition pour en tirer les conséquences juridiques.

2. La résiliation judiciaire du bail

Aux termes de l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit.

La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

A titre d’exemple, s’agissant du défaut de paiement des loyers ou leur paiement en retard, les juges cherchent à évaluer la gravité des situations et des manquements répétés :

  • la résiliation du bail est prononcée aux torts exclusifs du preneur pour manquement à son obligation de payer le loyer et les accessoires. (CA Pau, 2ème chambre, 1ère section, 23 octobre 2023, n°22/00668)
  • cependant, les bailleurs qui demandent le prononcé de la résiliation du bail et non pas
    l’acquisition de ladite clause résolutoire se voient refuser la résiliation judiciaire du bail commercial dès lors que les manquements ponctuels du preneur à son obligation de paiement des loyers sont liés à un contexte particulier et ne revêtent pas le caractère de gravité suffisante. En l’espèce, le preneur qui exerce la profession d’organisateur de réceptions a vu son activité affectée et limitée par l’épidémie de Covid-19. (CA Aix-en-Provence, 3ème et 4ème chambres réunies, 11 mai 2023, n°22/05752)

3. En l’espèce

En l’espèce, en 2000, la société BCD Biarritz (la locataire) a pris à bail commercial un local appartenant à Mme [I] épouse [D] (la bailleresse) et situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété.

Après avoir fait délivrer les 13 juillet et 31 octobre 2018 des commandements de payer des charges, visant la clause résolutoire, la bailleresse a assigné la locataire en constatation, et subsidiairement en prononcé de la résiliation du bail, et en paiement d’un arriéré et d’une indemnité d’occupation.

La cour d’appel, qui a constaté que la bailleresse se prévalait de la délivrance, les 13 juillet puis le 31 octobre 2018, de deux commandements de payer successifs visant la clause résolutoire du bail au soutien de sa demande de constat de la résiliation du bail, sans préciser à compter de quelle date cette résiliation devait intervenir, a retenu, à bon droit, qu’un bail déjà résilié judiciairement ne pouvait pas être à nouveau résilié, que cette demande devait être rejetée.

Cependant, pour prononcer la résiliation judiciaire du bail , l’arrêt retient que la locataire est redevable d’une certaine somme au titre des loyers et charges.

Or, le locataire se pourvoi en cassation aux motifs qu’en prononçant la résiliation du bail en se bornant à relever un non-paiement de loyers et charges sans se prononcer sur la gravité de ce manquement, lors-même que les charges réclamées étaient contestables et contestées à telle enseigne qu’en première instance la bailleresse avait été déboutée, la cour d’appel a violé l’article 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

La Cour de Cassation censure la décision de la cour d’appel et suit le raisonnement du locataire.

La Cour de Cassation considère qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le non-paiement du loyer et des charges constaté était un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

En d’autres termes, pour un bailleur, il vaudra toujours mieux faire délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire valide et en demander son application (ce qui évite la question du manquement suffisamment grave) plutôt que solliciter la résiliation judiciaire qui laisse une part d’appréciation au juge.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 27 Février 2025 n°23-17.898

Les derniers articles

Vente

Vente : Point de départ du délai de rétractation de l’acquéreur non professionnel

Le délai de rétractation de 10 jours accordé à l’acquéreur non professionnel court donc à compter du lendemain de la première présentation de la lettre ...
Lire la suite →
Vente

Vente : Annulation pour dol : les vendeurs conservent leur droit à indemnité d’occupation malgré leur mauvaise foi

La restitution due au vendeur à la suite de l’annulation d’une vente n’est pas subordonnée à sa bonne foi. Même en cas de dol ayant ...
Lire la suite →
Bail commercial

Bail commercial : Travaux structurels, manquement du bailleur et indemnisation du preneur

Pour refuser au preneur à bail commercial le droit à indemnisation, il convient d’exclure tout lien de causalité entre le manquement du bailleur à son ...
Lire la suite →