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Publié le 16 Nov 2025

Bail commercial : remise en état des lieux et référé

En matière de bail commercial, le juge des référés ne peut pas allouer une indemnisation définitive au bailleur au titre de travaux de remise en état : il ne peut accorder qu’une provision, dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

Il est essentiel de considérer également l’indemnité d’occupation à la fin du bail en cas de dégradations locatives, car cela concerne les obligations du preneur.

De manière générale la fin du bail génère souvent un contentieux autour des travaux de remise en état des locaux. Le bailleur souhaite récupérer un local conforme aux stipulations contractuelles ; le locataire conteste la nature ou le coût des travaux.

Lorsque le bailleur saisit le juge des référés, celui-ci ne peut pas allouer une indemnité définitive :
il ne peut accorder qu’une provision (article 835 du CPC), à condition que l’obligation du locataire ne soit pas sérieusement contestable

1. Sur les pouvoirs du juge des référés en matière de travaux de remise en état

L’article 835 du Code de procédure civile prévoit que :

« Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

En matière de bail commercial :

  • Le juge des référés peut :
    • condamner le locataire à verser une provision au bailleur au titre des travaux de remise en état des locaux,
    • ou ordonner l’exécution de certaines obligations (par exemple, obligation de vider les lieux ou de réaliser des travaux urgents) si l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
  • En revanche, le juge des référés ne peut pas :
    • fixer définitivement le montant du préjudice du bailleur,
    • allouer des dommages-intérêts définitifs au titre des travaux de remise en état.

La Cour reproche ici à la cour d’appel d’avoir, en référé, alloué au bailleur une indemnité définitive correspondant au coût total des travaux, alors qu’elle ne pouvait prononcer qu’une condamnation à titre provisionnel.

Cette distinction entre provision et indemnisation définitive est essentielle pour les praticiens du bail commercial, notamment lorsque le bailleur décide de faire réaliser lui-même les travaux et d’en réclamer ensuite le coût au locataire.

2. Jurisprudence applicable

Plusieurs décisions récentes éclairent le traitement des travaux de remise en état et du préjudice du bailleur en matière de bail commercial :

  • La Cour de cassation a jugé que le coût des travaux de remise en état des locaux ne constitue pas un préjudice indemnisable en lui-même, mais « une avance sur l’exécution des travaux » lorsque le bailleur choisit de les réaliser à la place du locataire. Cass. 3e civ., 6 avril 2023, n° 19-14.118.
  • Dans le prolongement, la haute juridiction rappelle que, pour obtenir réparation en fin de bail commercial, le bailleur doit démontrer un préjudice : perte locative, nécessité d’accorder une franchise de loyer, relocation à des conditions moins avantageuses, etc., et non pas seulement produire un devis de travaux de remise en état. Plusieurs arrêts du 27 juin 2024 insistent sur la nécessité d’un véritable préjudice en lien avec l’état de restitution des locaux (notamment Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 22-24.502 ; n° 22-10.298 ; n° 22-21.272).
  • D’autres décisions soulignent que le locataire qui ne procède pas à la remise en état des locaux au terme du bail commercial peut être tenu :
    • de rembourser le coût des travaux engagés par le bailleur,
    • de payer une indemnité d’occupation pendant la durée de ces travaux,
    • et d’indemniser le bailleur de la période pendant laquelle la relocation a été rendue impossible ou moins favorable du fait de l’état des lieux.

3. Analyse des faits de l’arrêt

L’affaire commentée illustre très concrètement ces principes, dans un contexte de fin de bail commercial et de travaux de remise en état des locaux.

a) La situation contractuelle

  • La société MC Coating exploitait des locaux dans le cadre d’un bail commercial.
  • Après avoir donné congé, elle a conclu avec son bailleur des baux de courte durée sur les mêmes locaux, arrivant à échéance au 31 août 2022.
  • À l’issue de ces baux, de nouveaux propriétaires (les sociétés CP participations et CP partimmo BLV) entendent récupérer des locaux en bon état et supportent eux-mêmes des travaux de remise en état des locaux.

b) L’action en référé des nouveaux bailleurs

Le 13 octobre 2022, les sociétés CP partimmo BLV et CP participations assignent la locataire en référé afin d’obtenir :

  • la condamnation de MC Coating à réaliser ou financer des travaux d’évacuation et de remise en état,
  • le paiement d’une indemnité d’occupation à compter du 1er septembre 2022.

Entre-temps, les bailleurs font eux-mêmes exécuter les travaux de remise en état et présentent un devis d’un montant de 137 292,20 € HT, qu’ils demandent à voir mis intégralement à la charge de la locataire.

c) La décision de la cour d’appel de Grenoble

La cour d’appel retient :

  • que ces travaux de remise en état incombaient au locataire au titre de ses obligations en fin de bail commercial,
  • que leur nature et leur montant sont justifiés,
  • et condamne MC Coating à payer la somme de 137 292,20 € HT aux sociétés bailleurs.

Problème : la cour d’appel ne présente pas cette somme comme une provision, mais comme une indemnité définitivement due. Autrement dit, elle se comporte comme un juge du fond, alors qu’elle statue en référé.

d) La censure de la Cour de cassation

La Cour de cassation relève que la cour d’appel, statuant en référé sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile, ne pouvait que :

  • constater que l’obligation de la locataire (supporter les travaux de remise en état) n’était pas sérieusement contestable,
  • et, sur cette base, accorder une provision correspondant tout au plus au montant des travaux,

mais certainement pas allouer une indemnité définitive, comme si la question du préjudice du bailleur en fin de bail commercial avait été définitivement tranchée.

La Cour casse donc partiellement l’arrêt, mais sans renvoi :

  • elle transforme la condamnation prononcée par la cour d’appel en une condamnation à titre provisionnel à hauteur de 137 292,20 € HT,
  • elle confirme le principe et le quantum, mais change la nature juridique de la condamnation (provision et non dommages-intérêts définitifs).

4. Portée et enseignements de la décision

Cet arrêt est particulièrement riche d’enseignements pratiques pour la gestion des fins de baux commerciaux impliquant des travaux de remise en état des locaux.

La Cour réaffirme clairement :

  • En référé, le juge :
    • peut anticiper en accordant une provision lorsque l’obligation du locataire est claire (par exemple : clauses de bail commercial mettant à sa charge les travaux de restitution) ;
    • peut ordonner l’exécution de certaines obligations de faire (vider les lieux, déposer des installations, etc.).
  • Mais il ne peut pas :
    • fixer définitivement le préjudice locatif du bailleur,
    • ni transformer le débat sur le coût des travaux en jugement définitif, alors même que des discussions peuvent encore exister sur la relocation, la perte de valeur, les éventuelles plus-values induites par des travaux plus importants que la simple restitution.

Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 6 novembre 2025 n°24-10.091


FAQ – Travaux de remise en état, référé et bail commercial

1. Le bailleur peut-il obtenir en référé le remboursement intégral des travaux de remise en état ?
En principe, non. En référé, le juge des référés ne peut accorder qu’une provision, dès lors que l’obligation du locataire n’est pas sérieusement contestable. La fixation définitive du préjudice du bailleur relève du juge du fond (Cass. 3e civ., 6 nov. 2025, n° 24-10.091).

2. Le coût des travaux de remise en état constitue-t-il toujours un préjudice indemnisable ?
La Cour de cassation a jugé que le coût des travaux de remise en état ne constitue pas, en soi, un préjudice indemnisable, mais une avance sur l’exécution des travaux lorsque le bailleur les réalise lui-même (Cass. 3e civ., 6 avr. 2023, n° 19-14.118).

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