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Publié le 26 Nov 2016

Baux commerciaux : dénégation du statut en cours d’instance

Un bailleur qui a délivré un congé avec refus de renouvellement peut, au cours de l’instance en fixation de l’indemnité d’éviction, dénier l’application du statut des baux commerciaux.

Le principe d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui – ou estoppel – sanctionne le comportement par lequel une partie adopte des positions procédurales de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions (Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-14.534, Dalloz actualité, 13 oct. 2014, obs. F. Mélin ; D. 2014. 1945 ; ibid. 2015. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2015. 452, obs. N. Cayrol ; JCP 2014. 1141, note Houtcieff ; ibid. 1232, n° 4, obs. Serinet ; ibid. E 2014. 1608 note N. Dupont ; LPA 3 nov. 2014, p. 10, obs. Boillot ; ibid. 27 nov. 2014, p. 20, note Brus ; Dr. et proc. 2015, suppl. Droit du recouvrement, n° 2, p. 4, note Putman). Ce principe consacré avec réserves par un arrêt d’assemblée plénière du 27 février 2009 (Cass., ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841, Bull. ass. plén., n° 1, rapport Boval et concl. de Gouttes ; D. 2009. 1245 , note D. Houtcieff ; ibid. 723, obs. X. Delpech ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2010. 459, étude N. Dupont ; JCP 2009. I. 142, n° 7, obs. Serinet ; JCP 2009. II. 10073, note Callé ; RDC 2009. 1019, note Viney ; Gaz. Pal. 19 mars 2009. 10, note Janville ; confirmation not. par Com. 20 sept. 2011, n° 10-22.888, Dalloz actualité, 29 sept. 2011, obs. X. Delpech ) interdit d’adopter un comportement procédural contradictoire au sein d’une même instance. Son application se traduit par l’opposition d’une fin de non-recevoir à la demande de la partie qui y contrevient. Son champ d’application est restreint et la seule circonstance qu’une partie se contredise n’emporte par nécessairement fin de non-recevoir (v. RTD civ. 2015. 452, obs. N. Cayrol ). L’exigence de cohérence est limitée aux seules prétentions objet du litige. Les allégations formulées par le plaideur au soutien de ses prétentions ne sont donc pas concernées.

En l’espèce, une commune a donné à bail à un particulier diverses parcelles de terre pour une durée neuf années à compter du 1er janvier 1994.

Ce bail a été renouvelé jusqu’au 31 décembre 2011 par délibération du conseil municipal.

Toutefois, le 30 juin 2011, la commune a délivré au preneur un « congé sans offre de renouvellement de bail commercial » pour le 31 décembre 2011, « en application de l’article L.145-14 du code de commerce ».

Le congé rappelle également au preneur les termes du dernier alinéa de l’article L.145-9 de ce code relatif à la possibilité de contester le congé ou de demander une indemnité d’éviction.

Le preneur a donc saisi le tribunal de grande instance afin d’obtenir le paiement de cette indemnité d’éviction.

La commune s’est opposée à ces demandes en contestant la qualification du bail.

Selon cette dernière, ce bail doit être exclu du statut des baux commerciaux puisqu’il porte sur des terrains nus.

En première instance, le tribunal a débouté le preneur de sa demande en refusant d’appliquer le statut des baux commerciaux. Toutefois, la cour d’appel a infirmé cette décision, les magistrats ayant estimé que la contestation sur la qualification du bail était en contradiction avec les termes du congé. Or il s’induit de cette contradiction que la contestation était infondée, le bail relevant du statut des baux commerciaux.

La commune forme alors un pourvoi.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 72 du code de procédure civile. Malgré la délivrance d’un congé sur le fondement du statut des baux commerciaux, un bailleur peut dénier l’application de ce statut puisque les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause, y compris au cours de l’instance en fixation de l’indemnité d’éviction.

Interrogations sur la réalité de la renonciation à la faculté de dénier le statut des baux commerciaux

Sur le fond, la Cour de cassation ne se prononce pas sur les deux dernières branches du moyen. L’approche procédurale a éclipsé des interrogations plus substantielles.

Concernant la volonté d’appliquer le statut des baux commerciaux, le contrat de bail a été conclu conformément aux dispositions relatives à ce statut et le congé délivré par le bailleur respecte les formes et délais y afférant. Or, s’il est établi qu’aucune disposition n’interdit aux parties de se soumettre à un statut qui ne leur est pas imposé, cette faculté est subordonnée à la double condition qu’elles ne soient pas soumises à un autre statut d’ordre public et qu’elles aient manifesté sans équivoque leur volonté d’y adhérer (Civ. 3e, 6 juill. 1982, Bull. civ. III, n° 167). Cette volonté peut notamment ressortir des clauses du bail dès lors qu’elles sont non équivoques (Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 12-27.153, AJDI 2014. 622 ).

De ce point de vue, il semble qu’en l’espèce aucune clause ne précise expressément la volonté des parties de recourir au statut des baux commerciaux. Il s’agit davantage d’un faisceau d’indices issus de la durée du contrat, de ses facultés de révision ainsi que des modalités dans lesquelles le congé a été délivré. En conséquence, la volonté non équivoque d’adhérer à ce statut est sujette à débat.

Enfin, la commune a-t-elle renoncé à se prévaloir des conditions auxquelles est subordonné le statut des baux commerciaux ? Selon le preneur, cette volonté ressortirait notamment de la délivrance du congé en application de l’article L. 145-14 du code de commerce. Toutefois, s’il est admis que seule la démonstration de la renonciation non équivoque d’une partie à se prévaloir d’un droit peut lui interdire de le faire valoir devant le juge (Civ. 3e, 18 janv. 2012, n° 11-10.389, Dalloz actualité, 27 janv. 2012, obs. Y. Rouquet ; D. 2013. 863, obs. N. Damas ; AJDI 2012. 754 , obs. N. Damas ), la jurisprudence est constante en matière de baux commerciaux.

Cette renonciation ne peut se déduire de la délivrance d’un congé y compris si le bailleur a proposé une indemnité d’éviction lors du refus de renouvellement du bail. Ce dernier pourra toujours contester l’application de ce statut et dénier le droit au renouvellement ainsi que le paiement d’une indemnité (dernièrement, Civ. 3e, 28 janv. 2016 n° 14-18628). En conséquence, la délivrance du congé ne peut suffire à caractériser une renonciation à la faculté de dénier le statut des baux commerciaux. Le bailleur pourra vraisemblablement contester son application.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 3 novembre 2016 n°15-25427

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