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Publié le 12 Avr 2025

Bail commercial : la clause de non-recours imprécise ne peut exonérer le bailleur de son obligation de délivrance

Le bailleur est tenu, pendant toute la durée du contrat de bail commercial, de délivrer un local en bon état d’usage et de réparation étant précisé qu’une clause de non-recours du bail ne saurait être interprétée comme une exonération de l’obligation de délivrance du bailleur, sauf si elle met clairement à la charge du locataire certains travaux spécifiques, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.


1. Rappel des textes légaux et de la jurisprudence

Selon les articles 1719 et 1720 du Code civil, le bailleur est tenu, par la nature du contrat :

  • de délivrer la chose louée en bon état de réparation de toute espèce,
  • d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée,
  • et de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

La jurisprudence considère que :

  • Les parties peuvent toutefois déroger aux dispositions des articles 1719, 1720, 1721, 1754, 1755, 605 et 606 du Code civil et convenir de façon expresse et non équivoque de transférer au preneur les obligations du bailleur, à l’exclusion, toutefois, de l’obligation de délivrance, dont celui-ci ne peut contractuellement s’exonérer (CA Paris, Pôle 4, ch. 5, 29 mai 2024, n° 19/03013).

2. Rappel des faits

La société DoubleTrade, locataire de locaux à usage de bureaux appartenant à la société CNP Assurances, a assigné cette dernière en 2009 en référé pour désordres résultant d’infiltrations d’eau. Un expert a été désigné.

La locataire a ensuite donné congé au 14 septembre 2010. La bailleresse a réclamé des loyers et charges impayés, une clause pénale, le coût de réparations locatives, ainsi que des dommages-intérêts.

La locataire a demandé le remboursement partiel des loyers et charges, ainsi que l’indemnisation du préjudice né du manquement à l’obligation de délivrance.

Or, l’article 6.3 du bail prévoyait que « le preneur s’engage pour lui-même et ses assureurs à renoncer à tout recours contre le bailleur et ses assureurs du fait de la destruction ou de la détérioration totale ou partielle de tous matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises, du fait de la privation ou de troubles de jouissance des lieux loués et même en cas de perte totale ou partielle des moyens d’exploitation »


3. Une clause de non-recours inopérante

Pour rejeter la demande indemnitaire de la locataire, la cour d’appel a estimé que la clause de non-recours figurant dans le bail écartait toute responsabilité de la bailleresse.

Cette clause interdisait tout recours en cas de dégâts mobiliers ou troubles de jouissance, quelle qu’en soit l’origine.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, en rappelant qu’une clause de non-recours ne peut exonérer le bailleur de son obligation de délivrance, sauf stipulation expresse contraire prévoyant clairement un transfert d’obligations au preneur.


4. Portée pratique de la décision

Cette décision réaffirme le caractère essentiel et autonome de l’obligation de délivrance du bailleur commercial et que contractuellement le bailleur doit être précis sur les éléments qui peuvent être mis à la charge du Bailleur.

Le preneur reste en droit de demander réparation des préjudices (surcoûts, perte de jouissance, travaux) si le bien présentait des vices ou désordres non imputables à son fait.

Cour de cassation, 3e chambre civile, 10 avril 2025, n° 23-14.974

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