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Publié le 30 Nov 2014

Les limites de la clause de souffrance

Si les clauses de souffrance sont licites dans les baux commerciaux, elles ne sauraient justifier qu’une gêne trop importante soit apportée à la jouissance du preneur en raison d’une faute du bailleur, ni même l’exonérer de son obligation de délivrance.

Sur le fondement de l’article 1719 du code civil, le bailleur est tenu d’une obligation inhérente à tout contrat de louage d’immeubles, celle de délivrer la chose louée conformément à l’usage prévu par la clause de destination du bail.

Cette obligation n’est cependant pas incompatible avec le droit du bailleur de réaliser des travaux dans les locaux loués et dans les parties communes. L’article 1724 du code civil l’autorise d’ailleurs à exécuter des travaux en insistant cependant sur leur caractère urgent, et donc exceptionnel : « Si, durant le bail, la chose louée a besoin de réparations urgentes et qui ne puissent être différées jusqu’à sa fin, le preneur doit les souffrir, quelque incommodité qu’elles lui causent, et quoiqu’il soit privé, pendant qu’elles se font, d’une partie de la chose louée. Mais, si ces réparations durent plus de quarante jours [vingt-et-un jours depuis l’entrée en vigueur de la loi ALUR du 24 mars 2014], le prix du bail sera diminué à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont il aura été privé ».

Les bailleurs ont depuis longtemps apporté des dérogations à l’article 1724, et notamment, il est usuel de trouver dans les baux commerciaux une clause dite de souffrance précisant que le bailleur pourra réaliser tous travaux, et ce même au-delà de la durée maximale prévue par le texte.

La cour d’appel de Paris nous rappelle qu’une telle stipulation est licite, mais qu’elle n’est pas sans limite.

En l’espèce, la clause suivante était soumise à l’analyse de la cour d’appel : « Le preneur devra souffrir, pendant toute la durée du bail, tous les travaux incombant au bailleur dans les locaux loués, même si ceux-ci deviennent temporairement inaccessibles, sans pouvoir prétendre à aucune indemnité, ni diminution de loyer, quelle qu’en soit la durée, cette dernière excédât-elle quarante jours pourvu qu’ils soient exécutés sans interruption, sauf le cas de force majeure ».

Ce type de clause a été validé à plusieurs reprises par la jurisprudence (Civ. 3e, 16 mai 2007, n° 06-18.286 ; Paris, 11 sept. 2013, Juris-Data, n° 2013-019303).

La Cour d’appel de Paris a validé cette clause.

Toutefois, elle apporte une limite à ce type de clauses qui « ne peuvent pas conduire à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance ni à justifier une gêne trop importante apportée à la jouissance du preneur en raison de la faute du bailleur« .

En cas d’impossibilité d’exploiter les locaux loués. L’obligation de délivrance étant de l’essence même du bail commercial, aucune clause ne peut exonérer le bailleur, pas même la clause de souffrance (Paris, 21 nov. 1997, Juris-Data, n° 1997-023784 ; Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200, D. 2005. 1655Document InterRevues ; AJDI 2005. 650, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. FagesDocument InterRevues).

En effet, la clause de souffrance ne peut conduire à empêcher le locataire d’utiliser les lieux loués pour l’activité prévue dans le contrat de bail.

Si les travaux du bailleur ont rendu les locaux loués inaccessibles et ont empêché l’exercice de l’activité autorisée, le locataire pourra engager sa responsabilité sur le fondement du manquement à l’obligation de délivrance, ou même obtenir la résiliation du bail.

À titre d’exemple, la cour d’appel de Paris a jugé que la clause de souffrance est inapplicable si des dégradations importantes causées par des termites, notamment sur des poutres maîtresses de l’immeuble, ont entraîné pour le preneur une impossibilité totale d’utiliser les locaux et une fermeture annuelle, le bailleur étant ainsi tenu de l’indemniser (Pau, 29 oct. 2012, Juris-Data, n° 2012-030047).

En cas de « gêne » anormale. La cour d’appel de Paris retient une seconde limite à l’application de la clause de souffrance, s’agissant de la faute du bailleur ayant entraîné une « gêne trop importante » à l’exploitation du locataire.

En ‘espèce, le locataire alléguait avoir subi, en raison de la réalisation de travaux par le bailleur dans les locaux loués, plusieurs désordres qui auraient entraîné « une gêne excessive pour son exploitation ». Pour autant, les juges du fonds ont jugé que la preuve des désordres causés et des perturbations subies n’était rapportée par aucun élément objectif, écartant de facto sa demande d’indemnisation.

La faute du bailleur est ainsi susceptible d’écarter une clause exonératoire de responsabilité. On sait que la « faute lourde » emporte cet effet, la jurisprudence de la Cour de cassation étant constante (Civ. 1re, 1er mars 1983, n° 82-10.609).

La position de la cour d’appel de Paris est intéressante car, pour sanctionner le bailleur, elle se détache de l’obligation de délivrance qui nécessite la preuve de l’impossibilité d’exploitation.

Cour d’appel de Paris, 24 janvier 2014 n° 11/20794

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