Le locataire répond des dégradations locatives et le bailleur peut obtenir l’indemnisation de ses pertes locatives et frais connexes dès lors qu’un lien de causalité direct avec les dégradations imputables au preneur est démontré.
1) Textes légaux
L’article 1732 Code Civil prévoit que le locataire répond des dégradations et pertes survenues pendant sa jouissance, sauf preuve qu’elles ont eu lieu sans sa faute.
L’article 1147 Code Civil (ancien applicable à la présente instance) prévoit qu’en cas d’inexécution ou de retard, le débiteur est tenu de dommages-intérêts sauf cause étrangère.
Enfin, l’article 1231-1 Code Civil prévoit que le préjudice indemnisable doit correspondre à une perte subie ou un gain manqué ; pas de préjudice théorique.
2) Jurisprudences applicables
La jurisprudence a été amenée à traiter à plusieurs reprises ce sujet de la restitution des locaux et a considéré que :
- le preneur supporte la remise en état lorsque les désordres procèdent d’un défaut d’entretien, même sans clause de vétusté. (Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 23-10.042)
- pour réparer une restitution non conforme, le bailleur doit prouver un préjudice ; le juge apprécie notamment la relocation, la vente ou la démolition postérieures. (Cass. 3e civ., 27 juin 2024, n° 22-24.502 ; n° 22-10.298 ; n° 22-21.272)
- Sans état des lieux d’entrée, le preneur est présumé avoir reçu les lieux en bon état et répond des travaux non autorisés. (Cass. 3e civ., 25 janv. 2023, n° 21-22311 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 7 déc. 2023, n° 21/03745)
- le preneur répond de l’état de restitution s’il ne prouve pas que les dégradations sont sans faute de sa part. (Cass. 3e civ., 13 oct. 2021, n° 20-18.331)
- tant que la mise en sécurité et la remise en état d’une ICPE ne sont pas réalisées, le preneur reste redevable d’une indemnité d’occupation. (Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-16.348)
- le preneur qui ne restitue pas les lieux en état doit rembourser les travaux, payer une indemnité d’immobilisation pendant la durée des travaux et compenser la perte locative ou les conditions défavorables de relocation. (Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 19-10.117 ; CA Paris, 12 nov. 2014, n° 12/22511 ; CA Toulouse, 14 nov. 2018, n° 17/03006 ; CA Versailles, 12 sept. 2019, n° 18/04845 ; Cass. com., 8 mars 2023, n° 20-20.141)
3) Analyse des faits
Par bail du 22 juillet 1997, la SCI Magenta a donné à la société Stanexel (devenue Suez RV Île-de-France) un immeuble destiné à un centre de tri et de transfert de déchets. La locataire a donné congé et quitté les lieux le 30 septembre 2015.
Après expertise, la bailleresse a assigné en indemnisation pour dégradations et a réclamé, outre le coût des remises en état, une perte de loyers, des taxes foncières, frais d’assurance et frais divers.
La cour d’appel de Paris (7 déc. 2023) a admis des dégradations imputables au preneur mais a refusé d’indemniser la perte de loyer et les charges, estimant qu’elles n’étaient pas en lien direct avec les réparations.
La Cour de cassation censure : les motifs retenus par la cour d’appel étaient impropres à exclure le lien de causalité entre les dégradations imputées au preneur et les préjudices économiques invoqués (perte de loyers, taxes, assurances). Elle invite donc à réexaminer ces chefs de préjudice à l’aune du lien causal.
4) Portée – Enseignement
- Le préjudice du bailleur peut inclure la perte locative (impossibilité de relouer / relocation moins avantageuse) et des charges supportées si ces postes sont directement imputables aux dégradations.
- Les juges du fond doivent motiver précisément l’existence ou l’absence de lien causal ; une exclusion abstraite est insuffisante.
- Pour le preneur, l’exposition financière va au-delà du seul coût des travaux : immobilisation, occupation, relocation défavorable peuvent être indemnisées.
Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 octobre 2025 n° 24-11.424
FAQ
Le bailleur doit-il prouver la réalisation des travaux pour être indemnisé ?
Non. Lorsque la responsabilité du preneur est établie, l’indemnisation peut couvrir travaux, immobilisation et pertes locatives, même si les travaux ne sont pas encore effectués (v. not. Cass. 3e civ., 15 nov. 2018 ; 7 janv. 2021).
La perte de loyer est-elle toujours indemnisable ?
Non. Elle l’est si le bailleur prouve qu’elle résulte des dégradations (ex. impossibilité de relouer, relogement à conditions dégradées).
Quid en l’absence d’état des lieux d’entrée ?
Le preneur est présumé avoir reçu les locaux en bon état et supporte l’entière charge des dégradations non justifiées.
Et pour un site ICPE ?
Le dernier exploitant doit remettre le site en état ; à défaut, il reste redevable d’une indemnité d’occupation jusqu’à exécution complète.