En matière de bail commercial, le garant solidaire peut invoquer les engagements contenus dans la transaction intervenue entre le bailleur et le locataire, notamment en cas de loyers impayés. En effet, si la transaction ne produit effet qu’entre ses signataires, elle demeure un fait juridique opposable aux tiers lorsqu’elle leur procure un avantage lié à l’obligation solidaire.
1. Sur les effets juridiques de la transaction pour les tiers (articles 1199, 1200, 1315 et 2051 du Code civil)
Les textes applicables, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, posent les principes suivants :
- Article 1199 : le contrat ne produit effet qu’entre les parties ; un tiers ne peut ni en exiger l’exécution ni être contraint de l’exécuter.
- Article 1200 : le tiers doit respecter la situation juridique créée par le contrat et peut s’en prévaloir pour apporter la preuve d’un fait.
- Article 1315 (solidarité) : le codébiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions communes à tous les codébiteurs, ainsi que celles personnelles lorsque celles-ci éteignent la part divise d’un autre codébiteur (notamment remise de dette).
- Article 2051 : la transaction consentie par un intéressé ne lie pas les autres ; néanmoins, elle peut constituer un fait juridique à leur avantage.
Il résulte de ces textes qu’un codébiteur solidaire peut invoquer les engagements issus d’une transaction conclue avec son coobligé si celle-ci comporte, pour ce dernier, un avantage transmissible, par exemple une remise de dette, une réduction de loyers impayés, ou une renonciation partielle du bailleur.
Cette question est centrale lorsqu’un locataire cédant, garant du locataire cessionnaire, demeure tenu des impayés pendant la durée de la garantie solidaire insérée au bail commercial.
2. Analyse des faits
Dans cette affaire, un bail commercial avait été successivement renouvelé, puis son exploitation cédée. Le locataire cédant, devenu garant solidaire, restait engagé jusqu’au 28 décembre 2021.
La bailleresse a assigné le garant solidaire pour obtenir le paiement de loyers impayés relatifs au quatrième trimestre 2019 et au début de l’année 2020. Au cours de l’instance, le bailleur et le locataire cessionnaire ont conclu, le 3 mai 2021, un protocole transactionnel prévoyant une renonciation importante du bailleur à réclamer des impayés antérieurs.
Le garant solidaire soutenait que cette transaction constituait, au profit du locataire cessionnaire, un avantage dont il pouvait se prévaloir. Il invoquait donc une réduction de sa dette solidaire.
La cour d’appel a refusé d’examiner cet argument, considérant que la transaction n’engageait que les signataires et ne faisait pas obstacle à une action contre le garant.
La Cour de cassation censure cette motivation : elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la renonciation du bailleur à réclamer les loyers impayés au cessionnaire ne constituait pas un avantage opposable au garant solidaire.
Ainsi, la haute juridiction rappelle que :
- la transaction demeure un fait juridique,
- le garant solidaire peut en invoquer les effets,
- dès lors qu’elle accorde au locataire un avantage transmissible,
- ce qui oblige le juge à vérifier si cet avantage doit bénéficier au codébiteur poursuivi.
Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 6 novembre 2025, n° 24-10.745
FAQ
1. Un garant solidaire peut-il invoquer une remise de dette accordée uniquement au locataire ?
Oui, si cette remise constitue un avantage dont il peut juridiquement bénéficier en tant que codébiteur solidaire.
2. Une transaction peut-elle empêcher le bailleur d’agir contre le garant ?
Pas automatiquement. Mais le juge doit vérifier si la transaction n’a pas réduit la dette globale, ce qui diminuerait mécaniquement l’obligation du garant.
3. Le bailleur peut-il rédiger une transaction excluant expressément tout effet sur le garant ?
Non si la remise de dette consentie au locataire réduit la dette solidaire elle-même : cette réduction bénéficie automatiquement au garant.
4. Cette solution s’applique-t-elle uniquement aux baux commerciaux ?
Elle concerne la solidarité juridique, mais trouve une application fréquente en matière de bail commercial, notamment en cas de cessions et d’impayés.
5. Le juge doit-il examiner systématiquement les avantages de la transaction ?
Oui, dès lors que le garant invoque cet argument. À défaut, sa décision peut manquer de base légale, comme dans cet arrêt.