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Publié le 16 Nov 2025

Bail commercial : Application ou non de l’imprévision ?

Dès lors que le statut des baux commerciaux prévoit de nombreuses dispositions spéciales relatives à la révision du contrat de bail (révision triennale, clause d’indexation), il n’y a pas lieu de faire application des dispositions générales de l’article 1195 du Code civil, relatives à l’imprévision, lesquelles doivent être écartées au profit des règles spéciales du statut des baux commerciaux.

1. Sur le droit applicable

• Clause résolutoire et impayés

L’article L.145-41 du Code de commerce encadre la clause résolutoire :

  • application automatique un mois après un commandement resté sans effet ;
  • commandement devant mentionner ce délai à peine de nullité ;
  • seule la démonstration d’une mauvaise foi du bailleur peut faire obstacle à la résiliation.

• Imprévision (article 1195 du Code civil)

L’article 1195 permet, en principe, de demander la renégociation du contrat lorsque son exécution devient excessivement onéreuse du fait d’un changement imprévisible de circonstances.

Mais ce texte est supplétif et s’efface devant les règles spéciales du bail commercial (C. civ., art. 1105, al. 3).

• Les mécanismes propres au bail commercial

Le statut prévoit déjà :

  • la révision triennale (L.145-38 C. com.) ;
  • les clauses d’indexation ;
  • les règles de renouvellement et de fixation du loyer.

La jurisprudence considère ces mécanismes comme suffisants pour rééquilibrer le contrat, y compris en période de tension économique.


2. Jurisprudence applicable

Ces arrêts ont refusé toutes les tentatives de requalification des loyers Covid-19 :

  • impossibilité d’invoquer la perte de la chose louée (art. 1722 C. civ.) (Cass, 3ème civ, 30 juin 2022, n° 21-19.889 – Cass 3ème civ, 15 juin 2023 n°22-15368 ; Cass, 3ème civ, 30 juin 2022, n° 21-20.127 ;
  • impossibilité d’invoquer la force majeure (art. 1218 C. civ.) (Cass 3ème civ, 30 juin 2022, n° 21-20.190 – Cass, 3ème civ, 15 juin 2023 n°21-10119);
  • impossibilité d’invoquer l’exception d’inexécution (art. 1219, 1719 C. civ.). (Cour de cassation, 30 juin 2022, n° 21-20.190)

Ces arrêts confirment une approche stricte : le bail commercial reste un contrat à prestations réciproques fermes, même en période de pandémie.

Déjà en 2019, la Cour d’appel de Versailles écartait l’application de l’article 1195 au bail commercial, jugeant que les mécanismes spéciaux préexistent et excluent le recours au droit commun des contrats. (CA Versailles, 12 déc. 2019, n° 18/07183 )

→ Conclusion jurisprudentielle claire

Aucun mécanisme général du Code civil ne permet d’annuler ou suspendre les loyers Covid-19.
Le locataire doit utiliser les outils propres au bail commercial (révision triennale, contestation du commandement, délais de paiement).


3. Analyse des faits

La société locataire exploite un fonds de commerce repris en 2018. À la suite d’impayés, le bailleur délivre un commandement pour 11 671,46 €. Le locataire ne s’en acquitte pas dans le délai d’un mois.

En appel, la locataire soutient :

  • avoir été lourdement touchée par le Covid-19 ;
  • que la pandémie constitue un cas d’imprévision au sens de l’article 1195 ;
  • qu’elle aurait payé une grande partie de sa dette et demande des délais de paiement.

La Cour d’appel constate que :

  • les impayés n’ont pas été réglés dans le délai légal ;
  • aucune mauvaise foi du bailleur n’est démontrée ;
  • la demande d’application de l’article 1195 doit être écartée, car le bail commercial obéit à des règles spéciales qui prévalent.

En conséquence, la Cour :

  • confirme la résiliation du bail ;
  • confirme l’expulsion ;
  • accorde toutefois un délai de 3 mois, compte tenu de la faible dette résiduelle (1 620 €), suspendant provisoirement les effets de la clause résolutoire.

Cour d’appel, Versailles, Chambre civile 1-5, 3 Juillet 2025 n° 24/06006

4. FAQ (version courte)

Le Covid-19 permet-il de ne pas payer les loyers d’un bail commercial ?

Non. La jurisprudence (Cass. 3e civ., 30 juin 2022) a écarté toutes les tentatives d’exonération.

L’article 1195 peut-il s’appliquer au bail commercial ?

Non, car les règles spéciales du bail commercial prévalent (CA Versailles, 3 juill. 2025).

Un locataire peut-il obtenir des délais malgré l’acquisition de la clause résolutoire ?

Oui. Jusqu’à 24 mois (C. civ., art. 1343-5).

La bonne foi du locataire suffit-elle à empêcher la résiliation ?

Non. Il faut prouver la mauvaise foi du bailleur au moment du commandement.

Puis-je demander une révision du loyer Covid-19 ?

Uniquement via les outils du bail commercial (révision triennale, indexation), pas via l’imprévision.

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