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Publié le 7 Déc 2025

Bail commercial : procédures collectives et arrêt des poursuites individuelles

Lorsqu’un locataire commerçant est placé en redressement judiciaire, le bailleur ne peut plus poursuivre l’action engagée contre lui pour obtenir la résiliation du bail commercial fondée sur des impayés antérieurs au jugement d’ouverture.

L’instance est automatiquement interrompue et ne peut reprendre qu’à des fins de constatation et de fixation de créance, jamais pour condamner le preneur au paiement ni obtenir la résiliation fondée sur des dettes antérieures.

1. Sur le cadre juridique applicable au bail commercial

Les articles L. 622-21 I et L. 622-22 du Code de commerce organisent un système rigoureux d’interruption des actions en justice.

Dès le prononcé du jugement d’ouverture, toute action visant à obtenir le paiement d’une somme d’argent ou à tirer les conséquences de ce défaut de paiement devient irrecevable.


Cette interruption vaut non seulement pour les demandes de condamnation au paiement, mais également pour toute procédure tendant à la résiliation du bail commercial qui repose sur des loyers impayés, l’inexécution de l’obligation de paiement constituant le fondement économique de l’action.

Lorsque l’instance a été engagée avant l’ouverture de la procédure, elle est interrompue jusqu’à déclaration de créance et ne peut ensuite être reprise qu’à des fins purement déclaratives : le juge ne peut ni condamner le débiteur, ni prononcer la résiliation pour des impayés antérieurs.


L’article L. 631-14 rend explicitement ces dispositions applicables au redressement judiciaire, ce qui inclut de plein droit les litiges relatifs aux baux commerciaux.


2. Jurisprudence applicable

La Cour de cassation adopte depuis de nombreuses années une position constante visant à protéger le locataire en procédure collective.

Elle juge ainsi, dans un arrêt du 15 novembre 2016 (Cass. com., 15 novembre 2016 n° 14-25.767), que l’action en résiliation du bail commercial pour impayés constitue une action tendant au paiement d’une somme d’argent au sens de l’article L. 622-21 du Code de Commerce. Dès lors, cette action devient irrecevable si elle porte sur des loyers antérieurs au jugement d’ouverture.

Cette solution avait déjà été affirmée dans plusieurs décisions majeures, notamment la série d’arrêts rendus le (Cass. 3e civ., 17 mai 2011 n° 0-15.957 10-15.959 10-15.964 10-15.972 10-15.973 10-15.974 10-30.675), puis confirmée à de nombreuses reprises (Cass. 3e civ., 1er décembre 2016 n° 15-18.425 ; Cass. 3e civ., 4 juillet 2019 n° 18-16.453).


La Cour rappelle également que le juge doit relever d’office l’irrecevabilité résultant de l’arrêt des poursuites (Civ 3, 18 septembre 2012n° 11-19.571).

Dans un arrêt particulièrement clair du (Cass. 3e civ., 13 avril 2022 n° 21-15.336), la Cour de cassation affirme que l’action en acquisition de la clause résolutoire engagée avant l’ouverture de la procédure collective ne peut plus être poursuivie dès lors qu’elle repose sur des impayés antérieurs.

Cette jurisprudence parfaitement établie s’applique uniformément à toutes les actions fondées sur un défaut de paiement antérieur, même lorsque l’action a été introduite depuis plusieurs années.


3. Analyse de la situation au regard du bail commercial

L’affaire rappelée par la Cour illustre ce mécanisme de façon limpide.


Le bailleur avait engagé une action en résiliation du bail commercial et en paiement des loyers impayés, en invoquant des manquements persistants du preneur à son obligation de régler les loyers. Toutefois, la locataire avait été placée en redressement judiciaire en cours d’instance.


À compter du jugement d’ouverture, le bailleur n’était plus fondé à solliciter la résiliation pour les impayés antérieurs, ni à obtenir une condamnation au paiement.


L’instance ne pouvait se poursuivre que pour constater et fixer la créance déclarée, sans pouvoir produire d’effet résolutoire.

La Cour confirme que la cour d’appel aurait dû relever l’arrêt automatique des poursuites et constater l’irrecevabilité de l’action du bailleur en résiliation du bail fondée sur des dettes antérieures au jugement d’ouverture.

Cette lecture rappelle aux bailleurs que la protection conférée au locataire en procédure collective prime sur la gravité ou l’ancienneté des manquements antérieurs.


4. Portée et enseignements pour la pratique du bail commercial

Cette jurisprudence oblige le bailleur à distinguer strictement les impayés antérieurs et postérieurs :

  • Les dettes antérieures doivent être déclarées et ne peuvent justifier ni résiliation ni expulsion.
  • Seuls les manquements postérieurs au jugement d’ouverture peuvent constituer une cause valide de résiliation du bail commercial.
  • Toute action fondée sur une créance antérieure est automatiquement neutralisée par l’arrêt des poursuites, et le juge doit le relever même sans demande du preneur.

Pour le preneur, cette protection assure la continuité de l’exploitation pendant la procédure collective, sous réserve du paiement régulier des loyers postérieurs, lesquels sont des créances privilégiées dites « créances de la procédure ».

Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique, 19 novembre 2025, n° 23-19.521

FAQ – Arrêt des poursuites individuelles & bail commercial

(À intégrer après l’article du site internet)


FAQ – Questions fréquentes sur l’arrêt des poursuites individuelles en matière de bail commercial

1. Le bailleur peut-il poursuivre une action en résiliation du bail commercial pour des loyers impayés antérieurs au redressement judiciaire ?
Non. Dès le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, toute action du bailleur fondée sur des loyers impayés antérieurs devient irrecevable. Le mécanisme d’arrêt des poursuites individuelles, prévu par l’article L. 622-21 du Code de commerce, neutralise automatiquement cette action, même si le bailleur avait engagé la procédure avant l’ouverture de la procédure collective. Le juge doit relever cette irrecevabilité d’office, sans qu’une partie le lui demande.

2. L’action en acquisition de la clause résolutoire peut-elle être poursuivie après l’ouverture de la procédure collective ?
Non, si elle est fondée sur un défaut de paiement antérieur. L’action en acquisition de la clause résolutoire constitue une action tendant à la condamnation au paiement d’une somme d’argent, au sens de l’article L. 622-21 du Code de commerce. Elle ne peut donc pas être poursuivie après le jugement d’ouverture, comme l’a rappelé la Cour de cassation notamment dans son arrêt du 13 avril 2022 (n° 21-15.336).

3. Que devient l’instance engagée par le bailleur avant le redressement judiciaire ?
L’instance est automatiquement interrompue. Elle ne pourra reprendre qu’après la déclaration de créance et uniquement pour permettre au juge de constater et de fixer le montant de cette créance. L’instance ne peut plus aboutir à une condamnation ni à la résiliation du bail commercial pour les impayés antérieurs au jugement d’ouverture.

4. Le bailleur peut-il obtenir la résiliation du bail pour des impayés postérieurs au jugement d’ouverture ?
Oui. Les loyers postérieurs au jugement d’ouverture sont des créances privilégiées et doivent être payés à leur échéance. Un défaut de paiement postérieur peut justifier une action en résiliation du bail commercial. Cette action n’est pas affectée par l’arrêt des poursuites individuelles, car elle repose sur un manquement né après l’ouverture de la procédure collective.

5. Le bailleur doit-il obligatoirement déclarer sa créance ?
Oui. La déclaration de créance est un préalable indispensable. Sans déclaration, l’instance ne peut pas reprendre. La jurisprudence rappelle systématiquement que la déclaration conditionne la reprise de l’instance, laquelle ne peut viser qu’à la fixation de la créance au passif de la procédure collective.

6. L’arrêt des poursuites s’applique-t-il lorsque le bail commercial est résilié pour un motif autre que le non-paiement ?
Non. L’arrêt des poursuites est d’interprétation stricte. Il ne s’applique pas aux actions en résiliation fondées sur un manquement autre que l’obligation de paiement, comme des travaux réalisés sans autorisation, une sous-location irrégulière ou un défaut d’assurance. La jurisprudence est constante : ces actions ne sont pas paralysées par l’ouverture de la procédure collective.

7. Le bailleur peut-il refuser le renouvellement du bail pour motif grave et légitime tiré des impayés antérieurs ?
Oui. L’action en refus de renouvellement pour motif grave et légitime est distincte d’une action en résiliation et n’est pas concernée par l’arrêt des poursuites individuelles. La cour d’appel de Paris l’a rappelé dans son arrêt du 19 septembre 2012 (n° 10/22363). Les impayés antérieurs peuvent donc fonder un refus de renouvellement, même si l’action en résiliation est paralysée.

8. L’arrêt des poursuites interdit-il toute compensation entre créances ?
Non. La compensation demeure possible lorsque les conditions de connexité prévues à l’article L. 622-7 du Code de commerce sont réunies. Elle peut notamment jouer entre les loyers impayés et le dépôt de garantie, sous réserve des règles spécifiques de la procédure collective. Cette règle est longuement commentée en doctrine, notamment par P.-M. Le Corre et F. Kendérian.

9. Le juge peut-il relever l’arrêt des poursuites seulement si une partie l’invoque ?
Non. La Cour de cassation rappelle que le juge doit relever d’office les effets attachés à l’arrêt des poursuites, comme dans l’arrêt du 18 septembre 2012 (n° 11-19.571). Le caractère d’ordre public de la règle impose une vigilance particulière.

10. Les effets de l’arrêt des poursuites s’appliquent-ils aussi en liquidation judiciaire ?
Oui. Ce mécanisme s’applique à toutes les procédures collectives : sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire, avec des aménagements. Lorsque la liquidation est ouverte, le bail est résilié de plein droit dans les trois mois si le liquidateur ne donne pas suite, mais l’arrêt des poursuites continue de jouer pour les créances antérieures.

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